Distr.
GENERALE

E/CN.4/1993/48
31 décembre 1992

FRANCAIS
Original:ANGLAIS/ESPAGNOL
 


COMMISSION DES DROITS DE L'HOMME
Quarante-neuvième session
Point 12 de l'ordre du jour provisoire





QUESTION DE LA VIOLATION DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES
FONDAMENTALES, OU QU'ELLE SE PRODUISE DANS LE MONDE,
EN PARTICULIER DANS LES PAYS ET TERRITOIRES
COLONIAUX ET DEPENDANTS





Rapport sur la situation des droits de l'homme en Guinée équatoriale
présenté par l'Expert de la Commission des droits de l'homme,
M. Fernando Volio, en application de la résolution 1992/79

de la Commission


TABLE DES MATIERES



Paragraphes

I. INTRODUCTION 1 - 8

II. COMMUNICATIONS ENTRE LE GOUVERNEMENT DE LA GUINEE EQUATORIALE ET L'EXPERT 9 - 11

III. RENSEIGNEMENTS RECUS PAR L'EXPERT 12 - 22

IV. CONCLUSIONS 23 - 39

V. RECOMMANDATIONS 40 - 46





Annexe



Note verbale datée du 12 novembre 1992, adressée à l'Office des Nations Unies à Genève par la Mission permanente de la Guinée équatoriale





I. INTRODUCTION

1. La question de la Guinée équatoriale est publiquement étudiée par la Commission des droits de l'homme depuis 1979. C'est à sa trente-cinquième session, le 8 mars 1979, que la Commission a adopté la décision confidentielle par laquelle elle a mis fin à l'examen de la situation des droits de l'homme en Guinée équatoriale dans le cadre de la résolution 1503 (XLVIII) du Conseil (relative à la procédure confidentielle d'examen) et qu'elle a entrepris l'examen de cette question conformément à la procédure publique prévue dans la résolution 8 (XXIII) de la Commission et dans la résolution 1235 (XLVII) du Conseil économique et social. Elle a ensuite adopté la résolution 15 (XXXV) du 13 mars 1979, par laquelle elle a décidé qu'un rapporteur spécial de la Commission, que désignerait le Président de la Commission, serait chargé d'entreprendre une étude approfondie de la situation des droits de l'homme en Guinée équatoriale. Le Conseil économique et social, pour sa part, a pris acte, par sa décision 1979/35 du 10 mai, des décisions de la Commission et a décidé en outre que la documentation soumise à la Commission sur cette question, conformément à sa résolution 1503 (XLVIII), ne serait plus soumise à des restrictions.

2. Le Président de la Commission a nommé M. Fernando Volio Jiménez (Costa Rica), Rapporteur spécial. Celui-ci a présenté à la Commission, à sa trente-sixième session, son premier rapport sur la situation des droits de l'homme en Guinée équatoriale (E/CN.4/1371 et Corr.1). Ayant pris note dudit rapport, la Commission a adopté la résolution 33 (XXXVI), du 11 mars 1980, par laquelle elle a décidé de demander au Secrétaire général de désigner, en tant qu'expert agissant à titre individuel, une personnalité possédant une grande expérience de la situation en Guinée équatoriale, afin plus particulièrement d'aider le gouvernement de ce pays à prendre les mesures nécessaires pour rétablir pleinement les droits de l'homme et les libertés fondamentales, compte tenu des recommandations du Rapporteur spécial et des réalités économiques, politiques et sociales du pays. Le Conseil économique et social a pris acte de cette résolution par sa décision 1980/137, du 2 mai 1980. Le Secrétaire général a désigné M. Fernando Volio Jiménez comme expert à titre individuel pour effectuer l'étude susmentionnée. Celui-ci a accepté cette nomination le 19 septembre 1980 et le Gouvernement équato-guinéen a donné son agrément le 1er octobre 1980.

3. Depuis lors, l'Expert informe tous les ans la Commission des droits de l'homme des difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre du Plan d'action pour le rétablissement des droits de l'homme et des libertés fondamentales proposé par l'Organisation des Nations Unies, élaboré par l'Expert lui-même et accepté par le Gouvernement équato-guinéen.

4. A sa quarante-septième session, la Commission a été saisie du rapport de l'Expert (E/CN.4/1991/54 et Add.1 et 2) dans lequel celui-ci faisait état des services consultatifs fournis par l'Organisation des Nations Unies à la Guinée équatoriale en 1990 et disait sa préoccupation face à la situation - qu'il qualifiait d'impasse - dans laquelle se trouvait l'application du plan d'action qu'il avait proposé. Il lui paraissait nécessaire de repenser la stratégie actuellement appliquée pour l'examen de la situation en Guinée équatoriale. Il proposait donc que son mandat soit élargi "pour qu'il puisse, lorsqu'il étudie la situation des droits de l'homme dans ce pays, examiner toute allégation faisant état d'éventuelles violations des droits de l'homme et effectuer des enquêtes sur place".

5. A sa quarante-huitième session, la Commission a été saisie du rapport de l'Expert (E/CN.4/1992/51), document dans lequel ce dernier exposait la mission effectuée par lui en Guinée équatoriale au mois de novembre 1991 et émettait l'avis que la situation des droits de l'homme dans ce pays s'était considérablement dégradée. A ce propos, l'Expert déclarait que la situation des droits de l'homme en Guinée équatoriale méritait d'être un sujet de préoccupation sérieux pour la communauté internationale et qu'il importait que la Commission des droits de l'homme se prononce sur la meilleure manière de conserver à l'examen de la situation des droits de l'homme en Guinée équatoriale un caractère de priorité élevé (E/CN.4/1992/51, par. 93 et 152).

6. A la lumière du rapport de l'Expert, la Commission a décidé, entre autres choses, de prier son président "de désigner en qualité d'expert de la Commission, après consultations avec les membres du Bureau, une personnalité de renom international dans le domaine des droits de l'homme ayant pleinement connaissance de la situation en Guinée équatoriale", personnalité qui serait "chargée d'étudier les violations des droits de l'homme commises par le Gouvernement de la Guinée équatoriale" (résolution 1992/79, par. 12). Ultérieurement, par sa décision 1992/247, du 20 juillet 1992, le Conseil économique et social a approuvé la résolution de la Commission.

7. Par une lettre datée du 10 avril 1992, le Président de la Commission des droits de l'homme a désigné comme expert M. Fernando Volio. En application du mandat dont il est question ci-dessus, l'Expert s'est rendu à Genève du 22 au 26 septembre 1992 en vue de consultations avec le Centre pour les droits de l'homme au sujet des questions concernant son mandat. Au cours de son séjour, l'Expert s'est entretenu avec le Représentant permanent de la Guinée équatoriale auprès de l'Office des Nations Unies à Genève, M. Marcelo Engonga Motulu, ainsi qu'avec le Vice-Ministre de la justice chargé des droits de l'homme, M. Francisco Javier Ngomo Mbengono. Il s'est également entretenu avec des représentants des Gouvernements de l'Espagne et des Etats-Unis d'Amérique ainsi qu'avec des représentants d'Amnesty International, de la Commission internationale de juristes, du Comité pour le retour des exilés de Guinée équatoriale, de l'Alliance nationale de restauration démocratique en Guinée équatoriale et du Mouvement international pour l'union fraternelle entre les races et les peuples.

8. Les faits les plus marquants survenus en Guinée équatoriale en 1992 sont consignés dans le présent rapport, qui s'arrête, pour des raisons techniques, au 15 décembre 1992.


II. COMMUNICATIONS ENTRE LE GOUVERNEMENT DE LA GUINEE EQUATORIALE ET L'EXPERT

9. Le 9 septembre 1992, l'Expert a adressé à Son Excellence le Président de la Guinée équatoriale, M. Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, la lettre ci-après :

Monsieur le Président,

"J'ai l'honneur de m'adresser à vous en ma qualité d'Expert de la Commission des droits de l'homme pour la Guinée équatoriale. Comme vous le savez, la Commission, par sa résolution 1992/79, a prorogé mon mandat, et c'est dans ces conditions que je me permets de me référer au sujet qui est exposé ci-après.

Selon les renseignements reçus, M. Severo Moto, leader du Parti du progrès, se trouve à Malabo depuis le 2 mai dernier, et on l'a empêché de se livrer aux activités qui relèvent de son parti. De même, on m'a fait savoir que M. Severo Moto aurait été détenu les 1er et 4 du mois courant; le premier jour, il aurait été interrogé pendant sept heures.

Vingt-quatre membres du même parti auraient été également arrêtés entre le 1er et le 3 septembre, et seraient encore détenus à ce jour. Sept d'entre eux se trouveraient en un lieu dénommé "Black Beach" et les autres se trouveraient dans les locaux de la Direction de la sûreté nationale. D'autre part, le siège du Parti du progrès aurait fait l'objet d'actes de vandalisme et ses archives auraient été confisquées.

Etant donné ce qui est exposé plus haut, je serais très reconnaissant à Votre Excellence de bien vouloir m'informer de la situation qui concerne M. Moto et les membres de son parti.

Persuadé que la sécurité physique de ces personnes sera garantie et assurée par votre gouvernement, je saisis cette occasion, etc."

10. En réponse, le 22 septembre 1992, le Vice-Ministre de la justice et des droits de l'homme, M. Francisco Javier Ngomo Mbengono, a remis à l'Expert à Genève une lettre datée du 11 septembre 1992 qui émanait du Ministre des relations extérieures et de la francophonie de la Guinée équatoriale, M. Agustín Nso Nfumu, et qui était ainsi conçue :

Monsieur,

"J'ai l'honneur d'accuser réception de la lettre datée du 9 septembre que vous avez adressée à Son Excellence Monsieur le Président de la République au sujet des incidents dans lesquels ont été impliqués récemment M. Severo Moto Nsa et certains responsables de l'ordre public.

A ce sujet, je ne saurais manquer à un devoir dont mon gouvernement tient beaucoup à s'acquitter, celui de vous fournir des renseignements et des éclaircissements sur le déroulement du processus politique actuellement en cours en Guinée équatoriale.

Ces renseignements, nous avons toujours été disposés à vous les fournir, en tant qu'Expert de la Commission des droits de l'homme chargé de suivre l'évolution de la situation dans notre pays, et ceci bien que - nous le disons en toute sincérité - nous ayons à constater avec regret que, pour des raisons incompréhensibles, ces renseignements ont été traités de manière partiale et subjective; en effet, les résultats de vos travaux sur ce point n'ont pas reflété jusqu'à présent la réalité sociopolitique et juridique de la Guinée équatoriale.

Cependant, manifestant à nouveau la volonté de notre Gouvernement de faire la preuve de son attitude transparente en ce qui concerne la question considérée ici, nous avons pris la liberté de vous informer brièvement sur le sujet qui vous préoccupe, selon votre lettre dont, une fois de plus, le contenu repose sur des demi-vérités, manipulées par quiconque vous a communiqué les renseignements, et cela pour des raisons intéressées évidentes.

En fait, je souhaiterais qu'il soit bien clair entre nous que toutes les sociétés civilisées sont gouvernées par certaines normes et lois qui régissent les relations entre leurs éléments; ces lois sont énoncées par celui qui exerce l'autorité, au bénéfice de la communauté, et cela est un principe pour tous ceux qui font partie de la société en question.

Il y a là un principe qui constitue l'un des piliers de la garantie des droits de l'homme.

Nous espérons que vous êtes au courant des dispositions légales qui, récemment, ont été énoncées par l'autorité en matière de libertés et, concrètement, de la loi relative aux partis politiques, au respect de laquelle sont tenus tous ceux qui souhaitent constituer des partis politiques en Guinée équatoriale; et nous présumons également que vous êtes informé de ce que, en vertu de cette loi, quatre partis politiques fonctionnent déjà légalement en Guinée équatoriale, exercent librement leurs activités et entretiennent des rapports de franc dialogue avec le gouvernement.

Cependant, M. SEVERO MOTO NSA, soi-disant leader du Parti du progrès, a non seulement adopté une attitude arrogante et une attitude de mépris total pour les lois du pays, car il n'a fait aucun effort pour donner un caractère légal à sa formation politique, mais il a aussi entrepris de se livrer à toutes les activités dont l'exercice légitime est reconnu aux partis légaux, allant même jusqu'à constituer une espèce d'organisation paramilitaire composée d'étudiants, de délinquants et d'anciens militaires, lesquels, au détriment de la paix et de l'ordre public, se livrent à des provocations à l'encontre de la société et de l'autorité.

Malgré cette situation d'exercice illégal de certaines activités, et malgré le caractère perturbateur du groupement paramilitaire qui a été constitué par la personne en question, le gouvernement adopte à l'égard de cette personne et de ses activités une attitude conciliante et tolérante, au risque d'être taxé de comportement discriminatoire par les partis qui, eux, ont satisfait à toutes les conditions requises pour être légalement reconnus ... Cela aussi fait partie des droits de l'homme : l'égalité devant la loi.

C'est le groupe paramilitaire en question qui a provoqué l'incident du 1er septembre, à savoir lorsqu'il a créé, dans les environs immédiats de ses bureaux, des désordres publics au cours desquels ont été honteusement maltraités certains citoyens que l'on voulait empêcher de circuler dans le secteur de la rue où sont installés lesdits bureaux.

Un deuxième incident a surgi en raison de la querelle qui a éclaté entre un citoyen qui voulait acheter un exemplaire du journal "PROGRESO", publié par ledit parti (journal que ce parti vend et distribue librement malgré la situation illégale qui a été signalée plus haut) et à qui l'on n'a pas voulu rendre sa monnaie, ce qui a déclenché une altercation au cours de laquelle l'acheteur a été maltraité et qui a provoqué un attroupement. Conformément aux règles du maintien de l'ordre public, les agents chargés de faire respecter ce dernier se sont rendus sur le lieu de l'incident afin de rétablir le calme, mais ils ont été eux aussi attaqués par des éléments de l'organisation paramilitaire en question. C'est seulement après cette autre agression dirigée contre les forces de l'ordre que certains militants ont été emmenés à la Direction de la sûreté.

Quant à M. MOTO NSA, nous avons le regret de constater le manque d'objectivité de la source qui vous a fourni les renseignements, car il n'a jamais été molesté, ni n'a souffert d'aucune violence. La seule chose est que, en tant que responsable du groupe impliqué dans les désordres, il lui a été demandé des éclaircissements sur les faits qui s'étaient produits, après quoi il a repris normalement ses activités; à aucun moment M. SEVERO MOTO NSA n'a été détenu et nous pensons que vous donnez une dimension trompeuse aux faits quand vous dites dans votre lettre que vous êtes "persuadé que la sécurité physique" de l'intéressé "sera garantie et protégée" par le Gouvernement de la Guinée équatoriale, et lorsque vous parlez de "vandalisme" et de "confiscation d'archives" ...

Nous avons jugé opportun, une fois de plus, de vous rendre compte des faits tels qu'ils se sont produits, bien qu'ayant lieu de craindre que notre version de ces faits, comme toujours, ne jouisse que de peu de crédit à vos yeux, étant donné que vous n'avez pas pris la peine de les vérifier.

Cependant, nous avons le ferme espoir qu'avec le temps, les affirmations sur les faits survenus dans notre pays bénéficieront du traitement juste et impartial qu'elles méritent, afin que cela puisse aider le Gouvernement et le peuple de la Guinée équatoriale à progresser avec sûreté et avec de sérieuses garanties de succès dans le sens du respect des droits de l'homme, droits fondamentaux auxquels néanmoins notre gouvernement continuera de consacrer les plus grands efforts comme il l'a fait jusqu'à présent.

Le Vice-Ministre de la justice et du culte, en déplacement à Genève dans le cadre des travaux du Comité préparatoire de la Conférence mondiale sur les droits de l'homme, sera très honoré de pouvoir vous apporter les éclaircissements que vous souhaiteriez avoir sur ce point ainsi que sur d'autres relatifs à la question considérée ici.

J'espère qu'à l'avenir s'instaurera une collaboration objective et efficace entre vous-même et le Gouvernement de la Guinée équatoriale et vous prie d'agréer, Monsieur, etc."

11. Le 24 septembre 1992, l'Expert a adressé au Ministre des relations extérieures et de la francophonie de la Guinée équatoriale, M. Agustín Nso Nfumu, trois lettres qui sont reproduites ci-après :

1) "Monsieur le Ministre,

Son Excellence M. Francisco Javier Ngomo Mbengono, vice-ministre de la justice et du culte, m'a remis hier la note de Votre Excellence datée du 11 septembre 1992 qui répond à ma note du 9 septembre, relative à M. Severo Moto Nsa.

Je remercie Votre Excellence de sa réponse, qui paraît inaugurer des communications actives entre le distingué Gouvernement de la Guinée équatoriale et moi-même, qui depuis 30 ans agit en qualité de volontaire dans la lutte pour la protection des droits de l'homme.

Je prends note de la version de Votre Excellence en ce qui concerne les faits qui ont motivé ma lettre du 9 septembre, renseignements dont je vous sais gré.

Je saisis cette occasion pour faire savoir à Votre Excellence qu'au cours de 13 années consécutives, et dans l'accomplissement de mes mandats relatifs à la Guinée équatoriale, j'ai toujours veillé à coopérer avec le distingué gouvernement de Votre Excellence en faveur de la protection des droits fondamentaux du noble peuple équato-guinéen. Dans cette tâche difficile, je me suis senti encouragé par les manifestations de compréhension et de soutien émanant des autorités officielles et des mandataires de diverses organisations privées, surtout au cours de mes quatre séjours dans le pays.

C'est pourquoi il me semble que les réactions négatives de votre Excellence à l'égard de mes actes constituent non seulement une exception dans le comportement du Gouvernement équato-guinéen mais aussi une appréciation sans fondement et injuste de mes travaux.

Ceci dit, je me réjouis de ce que Votre Excellence déclare de positif au sujet d'une collaboration ultérieure effective entre le distingué gouvernement de Votre Excellence et moi-même, ceci pour le bien du peuple équato-guinéen.

Je saisis cette occasion pour renouveler à Votre Excellence, etc."

2) "Monsieur le Ministre,

Le professeur Lukas Visher, président du Comité pour le retour des exilés équato-guinéens, m'a rendu visite hier 23 septembre pour m'informer des activités de ce Comité.

Je me réjouis beaucoup d'apprendre que les conversations qui ont eu lieu entre le distingué gouvernement de Votre Excellence et le Comité susmentionné ont abouti à une entente qui permettra à quelque 28 familles d'exilés de rentrer dans les prochains jours dans leur pays, comme elle permettra à d'autres familles de rentrer à la suite de ce premier groupe.

Comme le sait Votre Excellence, le retour des exilés équato-guinéens constitue l'une de mes préoccupations les plus urgentes, ainsi que je l'ai dit dans mes rapports, et surtout dans les deux derniers d'entre eux.

En conséquence, je tiens à faire savoir à Votre Excellence que j'appuie ce dont il a été convenu jusqu'à présent avec le Comité que préside le professeur Visher, car je suis certain que les dispositions prises contribueront à faire en sorte que le pays puisse compter de nouveau sur ce que ces citoyens de valeur peuvent apporter à l'amélioration de la société en général ainsi que de la situation des droits de l'homme en Guinée équatoriale.

J'ai recommandé au professeur Visher de veiller tout spécialement aux détails de l'application pratique du plan dont il a été convenu, ceci afin d'éviter que ne se renouvellent les malentendus qui se sont produits en 1991 entre les fonctionnaires en poste aux frontières et les personnes qui rentraient. En effet, ce genre de malentendu ne manquerait pas de porter tort à cet effort aussi louable qu'indispensable.

Je me permets de formuler la même recommandation à l'égard de Votre Excellence, et je le fais avec la même volonté de collaborer à l'exécution du plan en question.

Je saisis cette occasion, etc."

3) "Monsieur le Ministre,

Etant donné qu'à ce jour je n'ai reçu aucune note du distingué Gouvernement de la Guinée équatoriale qui exprime une réaction officielle à l'égard de mon rapport du 17 janvier 1992 (E/CN.4/1992/51, et compte tenu du fait que je dois établir un autre rapport pour le mois de février 1993, époque où se réunira la Commission des droits de l'homme, je prie Votre Excellence de bien vouloir me faire savoir quelle est, en réalité, la réaction du gouvernement de Votre Excellence à l'égard du rapport en question.

En particulier, il m'importe de savoir si le gouvernement est disposé à approuver et à mettre en pratique le "nouveau plan d'action" proposé dans le paragraphe 125 de mon rapport, ainsi que les dispositions concernant la "commission législative spéciale" et la "commission chargée de veiller à la bonne application du plan" dont il est question dans les paragraphes 127 et 128, respectivement, de ce même rapport (E/CN.4/1992/51).

D'autre part, il importe de connaître l'opinion du gouvernement de Votre Excellence au sujet de la question de la liberté religieuse dans le cadre de la loi No 4/1991, du 4 juin 1991. Le gouvernement a-t-il entrepris de réformer cette loi afin d'en éliminer les clauses qui restreignent la liberté religieuse, ainsi qu'il est dit dans les paragraphes 97 et 98 du rapport susmentionné (E/CN.4/1992/51) ?

De même, étant donné qu'il s'agit là aussi d'un droit fondamental, il m'intéresse de savoir si des changements positifs sont intervenus en ce qui concerne la liberté d'opinion et d'expression, dont il est question au paragraphe 137 de mon rapport.

Les questions dont je parle dans la présente lettre n'excluent pas les autres qui sont considérées dans les "Conclusions" et "Recommandations" du rapport tant de fois cité (p. 35 à 47). Toutes sont importantes pour qui veut savoir si des améliorations se sont produites dans la situation des droits de l'homme en Guinée équatoriale.

J'espère fermement que Votre Excellence pourra m'apporter les renseignements demandés ici, ce qui serait très utile pour la rédaction d'un nouveau rapport dans le cadre de mon mandat. Je vous en serais très reconnaissant.

Je saisis cette occasion, etc."


III. RENSEIGNEMENTS RECUS PAR L'EXPERT

12. Selon les renseignements reçus par l'Expert, des violations graves des droits de l'homme continuent de se produire en Guinée équatoriale, en particulier les vexations et les mesures de répression infligées aux opposants politiques. On continue de faire état de mesures d'arrestation arbitraires, souvent décidées en vue d'extorquer de l'argent ou par vengeance, ainsi que les tortures et mauvais traitements infligés aux détenus. Les accusations relatives à des pratiques de sorcellerie ("kong") serviraient de prétexte pour arrêter des opposants. Les personnes emprisonnées sont souvent détenues au secret dans des conditions qui constituent une violation des normes relatives au traitement des détenus édictées par l'Organisation des Nations Unies. Le droit d'habeas corpus n'est pas respecté et les recours seraient inexistants. Un climat de peur et d'intimidation continuerait de régner en Guinée équatoriale.

13. Selon des renseignements dignes de foi reçus par l'Expert, un soldat de la garde de sécurité présidentielle, Norberto Ndong Abia, a été condamné à mort par un tribunal militaire à Bata le 23 ou le 24 novembre 1992. Il aurait été déclaré coupable d'avoir tué à l'aide d'une arme à feu, au cours d'une dispute survenue le 26 octobre 1992, le dénommé Pedro Ateba. Ce serait la deuxième fois au cours du même mois qu'une personne a été tuée sans raison valable par le personnel de sécurité. En effet, le 22 novembre 1992, une autre personne, du nom de Silverio Mba Okenve, aurait été tuée à l'aide d'une arme à feu par un soldat de la garde de sécurité présidentielle. En Guinée équatoriale, les tribunaux militaires comme les tribunaux ordinaires seraient habilités à infliger la peine de mort. Cependant, les personnes condamnées à mort par un tribunal militaire n'auraient aucune possibilité de recours.

14. On rappellera qu'en janvier 1992 une loi autorisant les partis politiques a été adoptée en Guinée équatoriale. Jusqu'alors, le seul parti autorisé était la formation au pouvoir, c'est-à-dire le Partido Democrático de Guinea Ecuatorial (PDGE). A la suite de l'instauration du multipartisme, le Partido del Progreso de Guinea Ecuatorial, fondé par des exilés équato-guinéens d'Espagne, aurait commencé à exercer ouvertement ses activités. Dans une note verbale datée du 12 novembre 1992, le Gouvernement équato-guinéen a fait savoir à l'Expert que le 17 octobre 1992 six partis politiques avaient été légalisés; en comptant le parti au pouvoir, il y aurait maintenant dans le pays sept partis politiques légaux (voir l'annexe). Toutefois, les partis d'opposition n'auraient en aucune façon accès à la radio ou à la télévision. En Guinée équatoriale la presse écrite n'existe pas.

15. Selon les renseignements reçus par l'Expert, malgré l'adoption du multipartisme, de nombreuses personnes ont continué d'être détenues tout au long de l'année 1992 pour avoir soutenu des partis d'opposition. On rapporte qu'entre le 1er et le 3 septembre 1992, 24 (selon une autre source 29) adhérents du Partido del Progreso (PP) ont été arrêtés à Malabo, y compris le chef de ce parti, Severo Moto Nsa, qui aurait été relâché par la suite. Selon les renseignements reçus, huit des personnes concernées (leurs noms sont précisés), qui ont été arrêtées le 1er septembre 1992, ont été emmenées à la prison de Black Beach; 16 autres, arrêtées entre le 1er et le 3 septembre 1992, seraient détenues dans les locaux de la Dirección Nacional de Seguridad (Direction nationale de la sûreté); toutes les personnes arrêtées auraient été soumises à des tortures (des détails sont fournis) et certaines d'entre elles auraient subi des lésions graves, pour lesquelles on leur aurait refusé des soins médicaux. Parmi les personnes arrêtées, une serait un mineur, à savoir le plus jeune frère de Severo Moto Nsa, chef du parti. La plupart des personnes concernées, déclare-t-on, auraient comparu devant un juge mais, selon les renseignements reçus, les motifs d'inculpation qui ont pu leur être signifiés n'ont pas été rendus publics. Selon des renseignements dignes de foi reçus par l'Expert, les arrestations auraient été faites à la suite d'un incident survenu le 1er septembre 1992 au cours duquel un homme dont on pense qu'il aurait des relations avec les forces de sécurité se serait présenté dans les bureaux du parti en déclarant vouloir acheter le journal du parti. Cet homme aurait commencé à hurler et une vingtaine de policiers seraient alors arrivés et auraient frappé et arrêté toutes les personnes présentes excepté l'homme en question. La police aurait mis à sac les bureaux et aurait emporté des dossiers où figuraient les noms des adhérents du Partido de Progreso ainsi que d'autres détails les concernant. Neuf personnes arrêtées le 1er septembre 1992 auraient été libérées de la prison de Black Beach ou du Centre national de la police une fois acquittées par le Partido de Progreso et/ou par des parents des intéressés des amendes dont le montant variait, selon les renseignements reçus, entre 100 dollars des Etats-Unis et 140 dollars. A la suite de cet incident, sept personnes auraient été arrêtées après que leurs noms avaient été découverts dans les archives du PP qui auraient été confisquées par les autorités. Au 22 septembre 1992, 19 des personnes concernées seraient encore détenues. On trouvera dans les paragraphes 9 et 10 ci-dessus le texte de la lettre datée du 9 septembre 1992 que l'Expert a adressée au Président de la Guinée équatoriale à ce sujet, ainsi que la réponse du gouvernement.

16. A la suite de l'inauguration au début du mois de juillet d'une section provinciale par le Parti de l'union populaire, formation qui aurait été provisoirement reconnue par le gouvernement au début du mois de juin, des adhérents du parti auraient tenu une réunion à Mikomeseng, chef lieu du district. Selon des renseignements reçus par l'Expert, le gouvernement a affirmé qu'il s'agissait d'une réunion non autorisée et les autorités ont arrêté 42 ou 43 des participants. La majorité de ces personnes auraient été emmenées à Bata et détenues sans être inculpées jusqu'au mois d'août, époque où elles auraient été relâchées. On rapporte en outre que le 25 octobre 1992, 15 adhérents du parti ont été de nouveau arrêtés à Mikomeseng. Le 12 novembre 1992, José Martínez Bikie, l'un des dirigeants du parti, aurait été condamné à six mois de prison pour "insultes au chef de l'Etat", et qu'on lui aurait imposé une amende de 200 000 francs CFA (environ 800 dollars des Etats-Unis). Bikie aurait été arrêté au début du mois de juin 1992 avec deux collègues, Anastasio Nsolo et Marcelino Asumu, à la suite d'une réunion ayant eu lieu à Nsole Nsomo; tous trois auraient été accusés d'"offenses à l'encontre du chef de l'Etat, du gouvernement et d'autres institutions". M. Asumu et A. Nsolo auraient été déclarés innocents par le tribunal de Bata le 26 octobre 1992.

17. En juillet 1992, des forces de sécurité auraient arrêté quatre adhérents du parti de la Convention libérale démocratique, parti qui, lui aussi, aurait été provisoirement reconnu par les autorités en juin 1992; les personnes concernées auraient été arrêtées à Mbini et détenues pendant plus d'un mois sans avoir été inculpées à la prison de Bata, avant d'être relâchées à la fin du mois de juillet 1992.

18. Un autre incident a été porté à l'attention de l'Expert. Le 10 juin 1992, Pilar Mañana aurait été arrêtée par deux policiers en civil dans le café dont elle est propriétaire, censément pour s'être trouvée en possession d'un exemplaire de La Verdad, journal du parti d'opposition Convergencia para la Democracia Social (CPDS). C'est un client qui aurait laissé le journal dans l'établissement en partant. Pilar Mañana serait la tante d'un ancien prisonnier politique et elle serait connue pour son opposition à l'égard du gouvernement, quoique, selon les renseignements recueillis, elle n'adhère à aucun parti. Elle aurait été détenue pendant plusieurs jours sans avoir été inculpée, puis relâchée.

19. En avril 1992, trois hommes - Eusebio Ela, Juan Esono et Tomás Eyama - dont le nom serait associé à celui du Parti chrétien démocrate libéral et social auraient été arrêtés pour avoir déposé et enlevé des fils électriques et divers appareils dans des locaux appartenant à l'Etat d'où le président de ce parti, Juan Manene, aurait été expulsé. Juan Manene aurait affirmé que ce que les trois hommes étaient en train de démonter avait été installé par lui et qu'il avait donc le droit de l'emporter. Les personnes concernées auraient été envoyées à la prison de Black Beach et auraient été jugées, déclarées coupables et condamnées à une peine dont la durée n'est pas connue. Au 22 septembre 1992, selon les renseignements recueillis, elles étaient détenues à la prison de Black Beach, et la possibilité leur était laissée de se libérer à condition de payer une amende d'un montant équivalant à environ 200 dollars des Etats-Unis. Juan Manene aurait fui et vivrait en exil à l'étranger.

20. Le 24 mars 1992, le dénommé Martín Edjang Mboro aurait été arrêté par la police pour s'être plaint à un ami de la situation politique. On l'aurait accusé de professer des opinions antigouvernementales et de se réclamer de Severo Moto Nsá, et il aurait été arrêté puis détenu sans avoir été inculpé à la prison de Black Beach jusqu'au début du mois de juin 1992.

21. Au cours d'une conversation qui a eu lieu le 22 septembre 1992 à Genève avec le Vice-Ministre de la justice chargé des droits de l'homme, il a été déclaré à l'Expert qu'il n'y avait aucun prisonnier politique en Guinée équatoriale.

22. L'Expert voudrait faire observer que, bien que le Gouvernement équato-guinéen ait ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques le 25 septembre 1987, il ne s'est pas acquitté des responsabilités qui sont les siennes en vertu du Pacte et n'a même pas présenté un seul rapport, malgré les sept rappels qu'il a reçus du Secrétariat entre le 10 mai 1989 et le 25 mai 1992.


IV. CONCLUSIONS

23. La situation en ce qui concerne les droits de l'homme en Guinée équatoriale n'a pas changé. On voit persister dans ce pays des conditions politiques et institutionnelles qui constituent un obstacle considérable au libre exercice des droits fondamentaux et à la protection juridictionnelle de ces droits. Ainsi, le pouvoir demeure concentré entre les mains du Président de la République, qui cumule, en fait et en droit, les fonctions fondamentales de la vie politique publique, en contradiction manifeste avec la doctrine et avec la pratique du régime constitutionnel, ainsi que, directement, au préjudice des droits fondamentaux de la personne.

24. Ainsi, le Président de la République détient un pouvoir multiforme, qu'il exerce conformément aux intérêts politiques de son régime et au détriment des libertés des citoyens.

25. Cette réalité n'est en rien modifiée lorsque se produit ce que, dans le pays, on appelle un "changement de gouvernement", c'est-à-dire la nomination d'un nouveau premier ministre ou de nouveaux titulaires pour les autres portefeuilles ministériels; en effet, les changements en question s'effectuent par la seule volonté du Président de la République et sans que le pouvoir personnel de ce dernier en soit diminué.

26. Pour essayer de légitimer cet état de choses, on a rédigé la Constitution politique en vigueur, qui a été récemment approuvée. Cette constitution va jusqu'à placer le Président de la République, expressément, hors de l'atteinte de toute action judiciaire qui viserait à lui demander des comptes pour exercice abusif du pouvoir.

27. La situation est aggravée par le fait que le Gouvernement guinéo-équatorien ne manifeste pas la volonté qui serait nécessaire pour qu'il renonce à sa politique répressive actuelle, et par le fait que ce gouvernement s'emploie plutôt à créer l'impression qu'il existe dans le pays une large et authentique ouverture politique, qui déjà se manifeste, selon le gouvernement, par le respect des libertés et des droits fondamentaux. Cette manière d'envisager la situation n'est pas justifiée par ce qui se passe en réalité dans le pays, et elle aboutit seulement à retarder, de manière indéfinie, les décisions politiques qui doivent être prises si l'on veut établir un système satisfaisant de protection des droits de l'homme.

28. En agissant comme il le fait, le gouvernement met encore plus nettement en relief les véritables problèmes qui accablent le pays dans le domaine des droits de l'homme, et d'autre part il fait obstacle à tous les efforts que pourraient accomplir les citoyens pour résoudre ces problèmes et à toute la collaboration qui pourrait être apportée par la communauté internationale dans le même but.

29. La situation qui règne en Guinée équatoriale est mise en relief par le déphasage qui existe entre d'une part les améliorations censément survenues dans le domaine de la protection des droits fondamentaux au dire du gouvernement, et d'autre part la dure réalité que subit le peuple en raison de la sévère répression - institutionnalisée - qui est exercée par les pouvoirs publics.

30. Le Gouvernement équato-guinéen n'a pas fait connaître son accord au sujet du "nouveau plan d'action" proposé par l'Expert, plan dont l'exécution permettrait de réaliser les principales réformes dont a besoin le système institutionnel du pays en vue de protéger comme il se doit les droits fondamentaux du peuple équato-guinéen. Le plan en question est incorporé aux Recommandations de l'Expert, lesquelles figurent elles-mêmes dans le rapport de ce dernier daté du 17 janvier 1992 (E/CN.4/1992/51. Le gouvernement n'a pas davantage parlé des Recommandations qui sont liées au plan en question et dont l'exécution est nécessaire pour mener à bien celles du plan lui-même.

31. Le Gouvernement équato-guinéen n'a donné qu'une réponse incomplète et peu satisfaisante à la lettre que lui a remise l'Expert le 24 septembre 1992 (voir le paragraphe 11 du présent rapport), lettre dans laquelle l'Expert demande au gouvernement de bien vouloir faire savoir quelle est en réalité sa réaction à l'égard du rapport du 17 janvier 1992. En effet, dans sa note du 7 décembre 1992, en ce qui concerne la liberté religieuse, le gouvernement se borne à reproduire hors contexte certains articles de la loi No 4/1991, et il ne parle pas des observations critiques que l'Expert a formulées au sujet de ladite loi dans son rapport paru sous la cote E/CN.4/1992/51. Quoi qu'il en soit, de la simple lecture des articles de la loi en question qui sont reproduits par les soins du gouvernement, il ressort clairement que la religion et le culte sont soumis par l'Etat à une réglementation aussi sévère qu'inappropriée. C'est pourquoi l'Expert répète ici ce qu'il avait déclaré alors, en se fondant sur l'analyse de l'ensemble de la loi ainsi que sur le témoignage des représentants de diverses églises, y compris l'Eglise catholique : en Guinée équatoriale, la liberté de religion et de culte fait l'objet de graves restrictions.

32. En ce qui concerne la liberté d'opinion et d'expression, la réponse du gouvernement à la lettre susmentionnée de l'Expert ne comporte aucun renseignement qui puisse changer quoi que ce soit aux critiques formulées par l'Expert quant à la situation qui règne en ce domaine dans le pays. Quand il invoque la Constitution politique de la Guinée équatoriale comme preuve de ce que, selon lui, la liberté d'opinion et d'expression est respectée en Guinée équatoriale, le gouvernement laisse entendre qu'il demeure immuable dans son attitude, qui refuse de considérer la réalité criante de ce qui se passe véritablement dans le pays au-delà des manifestations du simple formalisme légal. Cette attitude, bien évidemment, est contraire à la cause des droits fondamentaux des Equato-Guinéens et de tous les habitants du pays.

33. Bien qu'apparaissent comme incomplets les renseignements fournis par le Gouvernement équato-guinéen au sujet de la grâce accordée à des personnes condamnées pour des délits de droit commun, conformément au décret du 2 juin 1992, l'Expert considère la décision en question comme conforme, en partie, à ce qu'il avait recommandé dans son rapport paru sous la cote E/CN.4/1992/51.

34. Aux yeux de l'Expert, il est encourageant de constater que, selon les renseignements émanant du Gouvernement équato-guinéen, "les études se poursuivent actuellement au sujet de la loi constitutionnelle qui devra régir le recours en amparo et le recours en inconstitutionnalité". Selon le gouvernement, on envisage, dans le cadre de cette étude, la mise en place d'une section constitutionnelle où seront examinés, entre autres choses, les recours en amparo et en inconstitutionnalité. Néanmoins, l'Expert est d'avis que, pour que la décision susmentionnée du gouvernement puisse avoir les effets positifs recherchés, il est indispensable que l'étude soit achevée et approuvée en tant que partie intégrante d'un plan articulé et cohérent, destiné à être appliqué de façon méthodique, visant à créer les institutions politiques et juridiques qui sont indispensables pour la protection des droits fondamentaux de toutes les personnes quelles qu'elles soient. L'une de ces institutions, qui revêt une importance fondamentale, devrait être un pouvoir judiciaire indépendant et efficace. Or, comme l'Expert l'a déjà déclaré en d'autres occasions, le pouvoir judiciaire, en Guinée équatoriale est assujetti à l'autorité et à la volonté du Président de la République, et en outre circonstance aggravante - l'organisation et le fonctionnement des tribunaux judiciaires souffrent du manque de professionnalisme de leur personnel ainsi que du manque de ressources financières et techniques.

35. Le "nouveau plan d'action" proposé par l'Expert dans son rapport paru sous la cote E/CN.4/1992/51 vise à résoudre les graves problèmes qui sont évoqués ci-dessus; cependant, il est indispensable que le gouvernement l'adopte officiellement, ce qu'il n'a pas encore fait, et qu'il l'exécute en tant que partie intégrante d'une réforme profonde du système politique en vigueur dans le pays; en effet, le système actuel cause un préjudice considérable au respect effectif des droits de l'homme.

36. Des renseignements communiqués à l'Expert par le Gouvernement équato-guinéen il ressort qu'il y a eu des progrès dans le domaine du fonctionnement des partis politiques. Néanmoins, l'Expert a reçu d'autres sources des renseignements qui indiquent que ce fonctionnement est précaire, et qu'il est très éloigné des pratiques qui sont en vigueur dans ce domaine dans les pays démocratiques. A la fois les renseignements en question et ceux qui émanent du gouvernement sont reproduits dans le présent rapport.

37. Le gouvernement n'a pas fait savoir à l'Expert si des progrès ont été réalisés en ce qui concerne les exilés à la suite de l'initiative du Comité pour le retour des exilés équato-guinéens, initiative à laquelle l'Expert a apporté son soutien ainsi qu'il ressort d'une autre lettre envoyée au Gouvernement équato-guinéen, également datée du 24 septembre 1992 (par. 11 du présent rapport).

38. Dans l'un et l'autre cas, le fait que le gouvernement s'abstient d'évoquer des affaires aussi importantes manifeste éloquemment l'absence de collaboration entre lui et l'Expert dans l'accomplissement du mandat de ce dernier. Plus important encore : par cette attitude, le gouvernement porte préjudice à la cause des droits de l'homme en Guinée équatoriale, car il tient le pays à l'écart des activités de collaboration et de surveillance qui sont exercées par divers organismes spécialisés de l'Organisation des Nations Unies.

39. Tant que le gouvernement ne changera pas d'attitude et persistera à ne pas tenir compte de la réalité, la grave situation qui règne en Guinée équatoriale dans le domaine des droits de l'homme ne pourra s'améliorer, car elle a pour cause principale l'existence d'un régime politique antidémocratique et répressif. Si la nature du régime changeait, on verrait évoluer également la situation qui règne actuellement dans le pays, situation qui, en fait, est contraire au respect effectif des libertés fondamentales et qui peut provoquer à court terme un autre drame national semblable à celui qu'avait provoqué la dictature de Francisco Macías.


V. RECOMMANDATIONS

40. Les changements qui sont nécessaires d'urgence en ce qui concerne la situation des droits de l'homme en Guinée équatoriale ne seront pas provoqués par de simples intentions et promesses. "Il y a loin des paroles aux actes", a-t-on coutume de dire, et selon un autre dicton "L'enfer est pavé de bonnes intentions". Il est indispensable que le gouvernement apporte la collaboration la plus large à l'Expert pour l'accomplissement du mandat de ce dernier et qu'il se dispose à mettre en pratique le "nouveau plan d'action" proposé par l'Expert, avec les réadaptations qui seraient nécessaires pour l'améliorer et l'appliquer de façon adéquate.

41. Le plan en question répond aux nécessités réelles et aux caractéristiques du pays, comme y répondait le premier, de 1981, recommandé également par l'Expert et approuvé par le Gouvernement équato-guinéen. L'application du nouveau plan est encore plus urgente que ne l'était celle du programme conçu dans les années 80, car il existait alors une tendance très positive qui favorisait l'édification d'un régime démocratique destiné à remplacer la dictature cruelle de Francisco Macías, renversée en 1979. En effet, il règne aujourd'hui dans le pays un climat de fort désenchantement ainsi que la crainte justifiée de voir gaspillée toute une décennie et de voir bientôt s'installer une autre tyrannie aussi funeste que la précédente.

42. Si en cette occasion le Gouvernement équato-guinéen n'approuvait pas le "nouveau plan d'action" proposé par l'Expert dans son rapport du 17 janvier 1992 - ce qui serait réellement regrettable du point de vue de la cause des droits de l'homme - il est de toute manière indispensable que le gouvernement assume ses responsabilités dans ce domaine et adopte sans retard les mesures qui sont nécessaires pour que soient respectés les droits fondamentaux consacrés par la Déclaration universelle et par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ainsi que par d'autres déclarations, pactes, accords et conventions analogues.

43. Quoi qu'il en soit, dans le présent nouveau rapport, l'Expert renouvelle les recommandations figurant dans le rapport déjà mentionné paru sous la côte E/CN.4/1992/51; en effet, ces recommandations n'ont pas été suivies par le Gouvernement équato-guinéen et, en conséquence, la situation qui les avait motivées persiste.

44. Par-dessus tout, l'Expert souligne que ce qui est indispensable maintenant en Guinée équatoriale, c'est un changement de la nature du régime politique du pays qui permette l'avènement d'une démocratie représentative et qui soit fidèle à l'idiosyncrasie du pays ainsi qu'aux principes et aux normes universelles concernant les droits de l'homme. Ce changement indispensable est réclamé par la majorité du peuple équato-guinéen et il incombe au gouvernement du pays de le promouvoir et d'en faire une réalité.

45. En tout état de cause, l'Expert recommande à nouveau que soient respectées les libertés fondamentales de religion; d'opinion et d'expression; de circulation; d'habeas corpus, de pétition et de procédure régulière garantissant l'intégrité de la personne; enfin de participation politique.

46. Dans le cadre institutionnel de l'Organisation des Nations Unies, et pour ce qui concerne le rôle qui, dans ce cas, revient aux organismes internationaux et, en général, à la communauté des nations, l'Expert estime de son devoir de réitérer également ses recommandations antérieures visant à ce que ces organismes persévèrent dans le soutien qu'ils accordent aux efforts accomplis par le peuple équato-guinéen, en des circonstances très difficiles, pour remédier à la situation en vigueur dans le domaine des droits de l'homme en Guinée équatoriale.


ANNEXE

Note verbale, en date du 12 novembre 1992, adressée à l'Office des Nations Unies à Genève par la Mission permanente de la Guinée équatoriale

Genève, le 12 novembre 1992

La Mission permanente de la République de Guinée équatoriale auprès de l'Office des Nations Unies et des autres organisations internationales à Genève présente ses compliments au Centre pour les droits de l'homme et a l'honneur de lui adresser ci-jointe une liste officielle de tous les partis politiques légalement autorisés dans le pays. Si l'on ajoute à ces formations le Partido Democrático de Guinea Ecuatorial (PDGE), actuellement au pouvoir, on constate qu'en ce moment il y a en Guinée équatoriale, au total, sept partis politiques légalement autorisés.

La liste fournit également les noms des principaux responsables nationaux.

LISTE NOMINATIVE DES MEMBRES DES PARTIS POLITIQUES RECEMMENT AUTORISES

Numéro d'ordre Nom du parti Nom des dirigeants

1. Unión Popular (UO)
Juan-Ntué NSIE MASACUM
Miguel EDJANG NVONO
Pedro TOME SALAS
Francisco-Nse NDONG AFANG
Cornelio RONDO IGAMBO

2. Convención Liberal Demócrata (CLD)
Alfonso NSUE MOKUY
Santos-Pascual BICOMO NANGU
Silvestre BENINGO B. BSTOSI
Antonio-Santos MUATETEMA
Gregorio MERINO CASTAÑO
Antonio-Nculu ASUMU ANGUE
Estanislao DOM MALAVO

3. Partido Social Demócrata (PSD)
Donato-Campos PAU ERIBO
Eduardo CHANKE MAY
Gaspar-Santos UPOLO IDJABUA
Banjamín-G. BALLINGA BALING
Pedro-Bayeme AYINGONO
Francisco MABALE NSENG
Gregorio ASUMU MBOGO

4. Alianza Democrática Progresista (ADP)
Jesús MBA NSOGO
Robustiano ECHUBE PINOSA
Ignacio-Molongua AKIEME N.
Jacinto SILICOPA CHALE
Vicente KUKU MOCHE

5. Unión Demócrata Social (UDS)
Jesús NZE OBAMA
Teodoro MITOGO MBA MANGUE
Silvestre NZAMIO NGUERE B.
Musa Alí ASUMU NGUEMA
Francisco MICHA OBAMA
Teodosia NCHAMA ONDO OKOMO
Sebastián BIQUE BOBORI
Teófilo MUM MEJIA
Jaime MANDOGO OKOMO
Faustino ONDO EBANG

6. Partido del Progreso (PP)
Severo M. MOTO NSA
Tomás BUEICHEKU BONEKE
Pablo NGOND ENSEM